samedi 21 juillet 2007

The times, they were a-changing

Titre : I is Someone Else

Auteur : Patrick Cooper

Publié en 2003 par Andersen Press (2006 chez Random House)

280 pages



Résumé
: Printemps 1966. Sur le ferry qui l'amène d'Angleterre en France, Stephen, 15 ans, en route pour deux semaines de vacances chez son correspondant français, fait la connaissance de Jerry et Astrid. Ils sont jeunes, charismatiques, irrésistibles. Ils prétendent surtout être des amis de Rob, le frère de Stephen, et que ce dernier vit à Istanbul. Voilà 18 mois que ni Stephen ni ses parents n'ont de nouvelles de ce frère rebelle, qui a quitté l'école pour mener une vie de bohème. La mère de Stephen préfère croire à la mort de son fils, mais Stephen est persuadé que Rob est vivant.

Astrid et Jerry ont prévu de rejoindre Istanbul en voiture, et proposent à Stephen de les accompagner. Stephen hésite. C'est un garçon raisonnable, studieux, un peu timoré et un voyage soudain à Istanbul semble la dernière chose à faire. Mais il doit savoir si Rob est vivant.
Il entame alors un périple dont Istanbul n'est que la première escale. Voyageant à travers la Turquie, l'Iran, le Pakistan et finalement l'Inde, Stephen abandonne petit à petit l'idée de retrouver son frère et accepte finalement le caractère personnel et spirituel de son périple. À mesure que Stephen avance dans sa quête du présent et du futur, il révèle petit à petit les fragments d'un évènement passé traumatisant, de la confiance et de l'innocence brisée par un professeur tant admiré, par une froide journée d'hiver anglais.

Le livre : Sublime. Le genre de livre qui marque, qui dure, qui accompagne pendant longtemps. Le genre de livre dont on se rappelle la lecture avec cette nostalgie, cette affection si particulière à la littérature. Un grand roman adolescent, qui exulte une sincérité, une innocence, une souffrance, une crudité toute adolescente. Le genre de livres qu'on estime important et qui perdurera, dans un contexte éditorial de surproduction.

Le récit : Un récit à la troisième personne qui suit le parcours de Stephen, un adolescent curieux, sensible, timide et solitaire. Un parcours intelligent, qui plutôt que de nous plonger tête la première dans une époque que nous n'avons pas forcément connu et qui nous semble, nous, jeunes adultes d'une société post-septembre 2001, d'autant plus difficile à comprendre que nous avons du mal à imaginer une telle insouciance et une telle liberté. Stephen, personnage contemporain de ces flux migratoires de la beat generation et des mouvements hippys, à du mal à comprendre lui-même ce qui se passe.
Allen Ginsberg en Europe, les Doors au Whisky a Go-Go, George Harrison en Inde... Entre littérature, art, musique, on comprend qu'à l'époque, sans qu'on sache vraiment pourquoi ou comment, il se passe « quelque chose ».
Stephen n'est pas réellement conscient de tout cela et c'est ce qui fait sa force en tant que personnage. Issu d'une bonne famille de la classe moyenne britannique, il est à la fois irrésistiblement attiré et effrayé par cette liberté criarde et irrévérencieuse qui s'empare d'un occident en route pour l'orient.
Astrid et Jerry, beauté troublante et roublard désarmant entraînent Stephen aux portes de l'Asie, sans qu'on sache vraiment s'ils sont la cause ou le moyen, dans un périple ou les raisons et les motivations deviennent floues. Seul le voyage, seule la découverte semble réellement compter.
Puis il y a le voyage désespéré, le voyage à tout prix, le voyage « parce qu'on ne peut pas revenir en arrière » avec Mary, figure maternelle irlandaise, qui partage la peur, la menace, et avec qui il frôle la mort.
Entraîné d'abord par deux figures charismatiques, accompagné ensuite par une figure protectrice, c'est seul qu'un Stephen grandi, enhardi atteint l'Inde, le Gange, rencontre un gourou, mais malgré la sagesse, la puissance spirituelle qu'il pense avoir acquis n'échappe pas à une terrible solitude, à une horrible sensation de vide.
Avec son voyage en Inde, Stephen semble changer : sa métamorphose n'est qu'une façade, qu'une illusion qui s'effrite, qui vole en éclat devant un souvenir traumatisant, dont il assume à tort la culpabilité. Stephen, qui jusqu'ici regardait un monde en pleine mutation avec les mêmes yeux que le lecteur ignorant, lui devient alors étranger. À l'autre bout du monde, Stephen ne parvient pas à semer sa blessure.
Il lui faudra la confronter, de retour en Angleterre, pour pouvoir s'en libérer.

Le style : Le style est fort, présent, clair et direct. Sans maniérisme, sans atermoiements, l'auteur présente les enjeux de l'existence adolescente, de la naïveté brisée, que le héros cherche à tout prix à maintenir, même s'il lui faut pour cela risquer sa vie dans des territoires dangereux et troublés.
Tour à tour haletante, contemplative, voire carrément métatextuelle, la narration aborde des sujets sociaux graves, des thématiques littéraires à la fois importantes et extrêmement complexes avec une simplicité et une évidence déconcertante.
Parfois cru, parfois explicite, le style n'est jamais choquant : il n'est pas question de traumatiser de lecteur, mais bien de raconter, au fond, une expérience traumatisante le mieux et le plus vraisemblablement possible.
La lecture d'un livre aussi exigeant voire éprouvant que I is Someone Else s'avère finalement accessible, simple et sans fausse complexité.

Les atouts, la ligne éditoriale : Le livre s'adresse aux adolescents à partir de 14/15 ans. I is Someone Else fait aussi parti de ces livres dits « pour jeunes adultes », qu'un public plus âgé pourra facilement apprécier.
Un roman puissant, important, loin de toutes ces modes de romans adolescents qui ne dureront qu'un temps, qui pose des bases importantes quant à la compréhension d'un âge où tout semble permis, où tout semble possible, quelques soient les limites ou les interdits de l'époque. Qu'on ne soit pas sérieux quand on a 17 ans en 1871, comme Rimbaud, ou qu'on franchisse les portes de l'Asie en 1966, les adolescents et le fruit de leur rébellion auront toujours raison des époques.
À PUBLIER ABSOLUMENT !

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